J’ai essayé de suivre un conseil lu récemment dans un livre : noter, ou enregistrer, mes idées, mes pensées, mes réflexions dès qu’elles surgissent. Parce qu’après, c’est perdu pour toujours. L’humanité y survivra, bien sûr, mais pour moi, c’est important de garder une trace de certaines pensées, de certains instants. Pour pouvoir les retrouver plus tard.
Je suis donc en promenade au lac de Coumshingaun, en Irlande. Le sentier grimpe sérieusement, avec des dénivelés qui donnent presque l’illusion d’être en haute montagne. C’est spectaculaire : un lac, de grandes falaises tout autour. Il y a pas mal de monde en ce week-end prolongé. Plus je monte, moins je croise de gens. Il est déjà 17h30, les familles commencent sûrement à redescendre.

J’ai croisé un Irlandais sympathique, qui m’a dit, en rigolant, qu’on ne savait jamais ce qui était le plus dur : monter ou descendre. Il descendait justement à ce moment-là, et on voyait bien à son pas hésitant qu’il n’était pas à l’aise. Il a failli glisser et se casser quelque chose — je ne l'ai pas compris immédiatement, mais j’ai pu lui répondre gentiment après.
J’aurais aimé lui dire, même si ça n’avait pas vraiment d’intérêt, que j’avais dû échanger mes chaussures de randonnée contre de simples sneakers, des baskets légères, parce que la semelle de mes chaussures s’était décollée. Et là, je me suis demandé comment on disait “paire de chaussures” en anglais. J’étais bloqué. Je me suis mis à dire dans ma tête : paire, choose… choose… oula, mon anglais… Impossible de me rappeler le mot.
Et finalement, j’ai trouvé ça drôle de me dire qu’on pouvait très bien dire paire de shoes avec un petit accent anglais, et faire comme si le mot passait. Comme s’il suffisait parfois d’un glissement, d’un accord implicite entre les langues, pour que la conversation continue.
C’est un peu comme cette promenade. Il faut accepter de retomber sur ses pieds. Il est souvent possible de se sortir de situations épineuses en positivant grâce à des pensées alternatives plus réalistes.
Quelques heures plus tard.
Il est 19h11, et je descends la boucle du lac. À cette heure-ci, il n’y a plus personne. J’ai juste croisé un photographe qui montait pour passer la nuit, pour être prêt à capturer le lever du soleil demain matin.


C’est vraiment dans ces moments-là que je savoure la promenade. Même si mes jambes tirent un peu, c’est aussi ce que j’aime : dépasser mes limites, m’inventer un petit danger, juste assez pour que ça reste excitant. Ce soir, je suis seul — ou presque. Il y a quelques moutons au loin, silencieux compagnons de descente. Et ce défi simple : arriver avant la nuit.

Le risque, bien sûr, existe. Je pourrais me fouler une cheville, et rester ici jusqu’à ce qu’on me retrouve… ou pas. Mais c’est le jeu. Ce genre de pensée donne du relief à l’aventure, la rend réelle.
Juste avant d’enregistrer cet audio, j’ai aperçu la carcasse d’un mouton. Probablement dépecé par des charognards. Son squelette et un peu de sa fourrure restent là, figés entre deux mondes, avant de disparaître. C’est ça aussi, la montagne. Sa beauté, brute. Et ce rappel silencieux que la mort n’est jamais bien loin.
J’espère ne jamais me retrouver en difficulté, mais je sais que c’est ce petit risque qui donne du goût à tout ça.