Ce que j’ai vu à travers la vitre : souvenirs d’un interne en pédopsychiatrie

Une scène anodine… ou presque

Je fais quelques associations d’idées, je me remets à penser à une scène qui m’a un peu choqué. Je m’en souviens encore, alors que cela fait bien dix ans que cette scène s’est produite. J’étais interne dans une ville de l’ouest de la France, dont le nom m’échappe. Je travaillais alors dans un service de pédopsychiatrie, c’est-à-dire auprès de patients âgés de moins de dix-huit ans.

Après la consultation d’un patient — il ne devait pas avoir plus de douze ans —, mon regard s’est porté sur le parking. J’observais une scène à travers une fenêtre, comme un écran entre le lieu de soins artificiellement sûr et le monde réel. Ce que je vis alors me laissa un instant interdit. Pas que ce fût difficile à comprendre, mais j’avais du mal à réaliser la scène devant mes yeux.

Une cigarette comme héritage

Cela ne valait pas la peine de casser trois pattes à un canard, et pourtant. Je voyais la mère sortir un paquet de cigarettes et en tendre une à son fils — je le répète, il n’avait pas plus de douze ans — comme si de rien n’était.

Les gestes s’enchaînaient de manière fluide, naturelle, presque mécanique. Ce n’était manifestement pas la première fois. J’assistais à une scène banale pour eux, devenue routine, mais profondément incompréhensible pour moi.

Je voyais une mère baisser les bras, céder, sans doute pour éviter une altercation, là, sur ce parking, dans un lieu encore public. Je ne pouvais m’empêcher de la voir comme une victime, et lui comme un bourreau. Même si son âge devrait me faire penser le contraire.

Une trace indélébile

J’ai vu des choses bien plus terribles dans ma vie, aussi bien sur le plan personnel que professionnel. Pourtant, cette scène-là a laissé une trace indélébile dans mon esprit. Peut-être parce que sa banalité déconcertante…

Cet enfant avait perdu tous ses interdits. Si je ne me trompe pas, il se trouvait déjà dans un foyer. Cette rencontre avec sa mère devait donc rester l’un de leurs rares moments ensemble. Des sentiments ambigus devaient certainement animer leur relation. Elle avait probablement peur de lui, et se sentait obligée de céder à ses exigences. Et lui, sans doute, devait la mépriser pour sa faiblesse, pour ce poison qu’elle lui offrait, dans tous les sens du terme.

Et maintenant ?

Il doit bien avoir vingt-deux ans aujourd’hui, ce jeune. Et sa mère doit approcher la cinquantaine. Que sont-ils devenus ? Est-il encore en vie ? Sans domicile ? En prison ? Peut-être a-t-il retrouvé un certain équilibre, qui sait ?

J’en doute. Mais ce soir, ce n’est pas l’optimisme qui m’envahit.

Je trouve difficile de passer une bonne nuit dans ce contexte mondial abject, où les guerres s’enchaînent, commentées par ces soi-disant experts des chaînes d’infos en continu. Une parole qui donne plus l’impression d’une accoutumance que d’un réel esprit critique, encore moins d’une parole à la hauteur des événements.