Carnet de la vraie guerre

Vendredi soir, week-end de trois jours — Je viens de terminer Opération Spéciale de Paul Gogo, un livre que j'avais commencé il y a plusieurs semaines.

C’est un carnet de bord cru, rédigé par un journaliste courageux qui suit la guerre en Ukraine. Comme tout carnet de bord, il n’y a pas de réelle trame scénaristique : les événements surviennent tels qu’ils ont été vécus, avec quelques ellipses temporelles entre les chapitres. On sent l’urgence, la réalité brute, la tension constante. Je suis admiratif du courage de ce journaliste, qui prend tant de risques pour exercer ce métier noble, essentiel.

Et en même temps, je suis abasourdi. Le mot n’est pas trop fort. Abasourdi par l’attitude de cet État voyou dirigé par un voyou devenu parrain. Pourquoi s’embarrasser de tolérer un journaliste qui ne fait que relater la vérité ? Justement, parce que c’est bien cela qu’ils redoutent : la vérité. Mais dans cette tentative de museler l'information, ils ne font que sceller leur place minable dans l’Histoire. Une place honteuse, indélébile. Il serait pourtant si simple, pour le régime russe, de ne pas accorder de visa à Paul Gogo, voire même de le faire disparaître, lui ou ceux qui lui sont chers. Et pourtant, il continue d’exercer son métier. Avec plus de difficultés, bien sûr, mais sans rien perdre de son talent ni de son objectivité. Je ne comprends pas tout à fait comment il parvient encore à passer entre les mailles du filet, à rester libre d’écrire ce qui lui semble juste. Est-ce grâce à la corruption, à une forme de résistance passive de certains agents de l’État, ou au respect que certains conservent pour les journalistes étrangers ? Qu’importe, au fond. C’est cette faille dans le système qui rend son travail – et ce livre – possible.

Je ne sais pas comment Paul Gogo se définirait lui-même, mais je trouve son positionnement d’une grande justesse. Je dirais même qu’il s’approche de ce qu’on pourrait appeler un pacifiste lucide. Il ne dissimule ni n’atténue la responsabilité de la Russie, ni celle de son peuple dans son ensemble. Pourtant, il ne prend pas parti de manière simpliste pour un camp ou l’autre. Il montre, avec nuance, que chaque camp paie son tribut à sa manière. À l’échelle humaine, les dégâts, les deuils et les souffrances se ressemblent. Même si, d’un côté, ce sont avant tout de jeunes soldats ou criminels de droits communs, souvent issus de peuples éloignés de Moscou, enrôlés de force ou manipulés.

À l’échelle humaine, la douleur ne fait pas de distinction.

Je ne peux m’empêcher de penser à ces groupes d’hypocrites qui se pensent du « bon côté de l’Histoire » dans le conflit entre Gaza — représenté par le Hamas — et Israël, représenté aujourd’hui par son gouvernement d’extrême droite. En prétendant défendre le peuple palestinien, tout en dissimulant leur antisémitisme sous le masque de l’antisionisme, ils ne valent pas mieux, à mes yeux, que les propagandistes russes au service de Poutine. Ils n’ont rien de pacifiste, rien d’humaniste. Ils défendent avant tout leurs clans, leurs visions idéologiques, souvent belliqueuses, des événements internationaux. L’humanité n’est pour eux qu’un argument rhétorique, pas une valeur vécue.

Je terminerai simplement en citant la dernière phrase du livre. Si vous comptez le lire, ne la lisez pas. Mais je dois la consigner ici, pour pouvoir me la rappeler à la relecture de ce billet : « Un jour, le brouillard de la guerre s’effondrera, le rideau de la propagande se lèvera, et tout un pays tombera de haut. La chute sera violente. »